Il n'y a probablement pas un seul manuel d'histoire qui parle de sainte Xénia de Saint-Pétersbourg, dont nous célébrons la mémoire le 6 février. Au contraire, chaque livre d'histoire contient celle de Napoléon. Ces deux personnes ont vécu à peu près à la même époque, au tournant du XVIIIe siècle. Leurs contributions à l'histoire sont-elles vraiment incomparables?
Les actes de Napoléon sont bien connus: des centaines de milliers de morts; des églises pillées, non seulement en Russie, mais aussi, par exemple, à Venise, et dans toute l'Europe; le destin ruiné de nombreuses personnes. L'influence spirituelle de Napoléon est également énorme, comme en témoignent notamment les œuvres de Tolstoï et de Dostoïevski. Raskolnikov, tourmenté par le doute ‒ "suis-je une créature tremblante ou ai-je le droit" ‒ a tué la vieille prêteuse sur gages, on dirait, avec le nom de Napoléon sur ses lèvres.
La vie de sainte Xénia nous est également bien connue: devenue subitement veuve à 26 ans, elle a commencé la vie d’une folle-en-Christ. Elle a quitté sa maison et erré, toujours vêtue de sa veste verte et de sa jupe rouge, ridiculisée et insultée, priant sans cesse. Pour son exploit de nombreuses années, incompréhensible pour ce monde, la bienheureuse Xénia a reçu de Dieu la grâce d'aider les gens ‒ sa participation à leur destin ne tardait pas à se manifester.
Son don particulier était d'aider les gens à fonder une famille. Par exemple, venue un jour chez la famille Golubev, la bienheureuse Xénia a annoncé à leur fille de 17 ans: "Pendant que tu fais du café, ton mari enterre sa femme à Okhta. Dépêche-toi d'y aller!" La jeune fille embarrassée ne savait pas quoi répondre à ces mots étranges, mais la sainte l’a forcée à se rendre au cimetière d'Okhta à Saint-Pétersbourg. En effet, en ce moment-là, il y avaient lieu les funérailles d’une jeune femme morte en couches. Son mari pleurait, les Golubev ont essayé de le consoler. C'est ainsi qu'ils ont fait connaissance et, un an plus tard, l’homme a demandé la jeune fille en mariage qui s'est avéré très heureux. Il existe d'innombrables exemples où la bienheureuse Xénia a organisé la vie des familles.
Napoléon est enterré dans le centre de Paris, et les touristes viennent voir son tombeau en porphyre rouge sur un socle de granit vert. On n’y vient pas pour prier ou lui demander quelque chose; pour de nombreuses personnes aujourd’hui, Napoléon est une pièce de musée, le passé conservé. Son influence se limite à la recherche historique ou au matériel cinématographique.
Depuis plus de 200 ans, le tombeau de sainte Xénia est une source de guérison et d'aide dans des circonstances difficiles, résolvant des problèmes insolubles. Par exemple, elle est apparue à un homme souffrant de la dépendance à l’alcool et lui a dit: "Arrête de boire! Les larmes de ta mère et de ta femme ont inondé ma tombe." Inutile de dire que l'homme n'a plus jamais touché la bouteille. Chaque jour, de nombreuses personnes viennent vers le tombeau de la sainte y laissant des messages avec leurs demandes d’aide. Des centaines, des milliers, des millions de messages ont invoqué son nom − y a-il eu un tel message sur le tombeau de Napoléon en porphyre rouge et granit vert?
Le terme "histoire sociale" devient de plus en plus courant dans la recherche historique contemporaine. Il s'agit d'une tendance prometteuse, qui témoigne de l'importance des destins des gens ordinaires et de leur rôle déterminant dans le processus historique. Il est faux de penser que l'histoire est faite par les puissants de ce monde, sur l'Olympe politique − l'histoire n'est pas du tout ce qu'on nous montre à la télévision. La véritable histoire se déroule dans nos cœurs, et si l'on se purifie par la prière, la pénitence, l'humilité et la patience dans les afflictions, alors notre participation à notre destin, et aux destins de ceux qui nous entourent, c'est-à-dire à toute l'histoire humaine, grandit énormément.
Sainte Xénia n'a pas dirigé un État, n'a pas mené une énorme armée à la conquête d’autres états; elle a simplement prié, jeûné, humilié son âme et enduré tous les maux − mais son influence sur l'histoire de l'humanité s’est avérée plus grande que celle de n'importe quel souverain, bien que les livres d'histoire ne le disent pas. C'est pourtant ce que le Christ nous dit dans l'Évangile: que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme? (Matthieu 16 : 26), c’est ce que nous voyons dans les exemples de Napoléon et de sainte Xénia. L'histoire ne se fait pas au Kremlin ni à la Maison Blanche, ni à Bruxelles ni à Strasbourg, mais elle se fait ici et maintenant − dans notre cœur, s'il s'ouvre à Dieu et aux hommes.