En juillet, nous honorons la mémoire du schémamoine Pierre, qui a été membre de notre famille monastique pendant de nombreuses années. Sa vie n'a pas été facile, il y a eu des défaites, mais aussi des victoires sur le péché. Il croyait sincèrement en Dieu et essayait de servir les gens.
Le père Pierre racontait que ses parents étaient originaires du Kuban, son père avait été tué pendant la guerre. Il y avait une église non loin de leur maison. Petya est devenu ami avec les enfants du prêtre et a passé sa petite enfance à l'église. Il l’a même gardée, en y passant la nuit. Puis, au cours d’une période de persécution de l’Église, on a interdit au garçon d’aller à l’église, mais il a fait connaissance d’un homme âgé qui gardait secrètement de la littérature religieuse et a commencé à lire et à réécrire des livres spirituels. Un jour, l’institutrice a trouvé son cahier avec des textes religieux; elle a immédiatement appelé la police. Le garçon a été envoyé dans la région de Saratov, dans un établissement pénitentiaire pour mineurs.
Petya a passé près de cinq ans à l’établissement de détention. Juste avant sa libération, il a appris le décès de sa mère. À cette époque les enfants orphelins étaient recrutés dans les écoles militaires, et la vie de Petya Polyak s’est liée à l'armée, aux forces spéciales. Après l’école, Pierre a été envoyé comme spécialiste militaire au Vietnam. Il a ensuite servi en Yougoslavie, en Bulgarie, a participé aux opérations militaires en Angola, ayant finalement accédé au grade de major.
Pierre s’est retiré de l'armée pour cause de maladie. Il a loué quelques hectares de terre et a commencé à la cultiver. Cela a bien marché: il avait de bonnes récoltes, vendait des produits, gagnait un revenu. Cela ne pouvait que susciter l’intérêt des bandits locaux ‒ ils ont débarqué pour lui prendre de l’argent. Mais l’officier militaire, qui avait le droit de porter des armes personnelles, n’a pas voulu se rendre, l’affaire s’est terminée par une fusillade. Se défendant, Pierre a blessé les agresseurs; deux d’entre eux sont morts de leurs blessures. Les policiers ne doutaient pas qu’il avait raison, l’ont remercié pour l’arrestation des bandits et lui ont proposé deux issues: soit il allait en prison pour neuf ans, soit il s’échappait, de préférence dans un monastère, où il ne serait pas retrouvé.
C’est ainsi que Pierre s’est retrouvé au monastère de Pskov-Pechersk. Là, il y avait beaucoup d’anciens militaires parmi les moines. Au début, Pierre a eu du mal à accepter le fait qu’il a dû quitter son immense ferme déjà établie, mais il a vite aimé le mode de vie monastique et surtout les services Divins sans hâte. De plus, le père Jean (Krestyankin) l’a beaucoup aidé. Dans les moments de tentation ou de détresse spirituelle, Pierre se rendait immédiatement chez le starets. Le père Jean l’écoutait, l’oignait d’huile sainte ‒ et tout était parti.
En 1993 Pierre a commencé à avoir de graves maux à la gorge. Les médecins ne pouvaient pas l’aider jusqu'à ce qu'un jeune médecin lui a diagnostiqué un cancer de la gorge. Le novice Pierre a été envoyé à Pskov pour être soigné. Sa santé se détériorait et bientôt il ne pouvait plus se déplacer seul. Voyant son état, le père Jean (Krestyankin) a tonsuré le novice Pierre avec le nom de Paul.
Le père Pierre se souviendra plus tard: ‟C’était la nuit de la Nativité du Seigneur. On m’a amené dans le service et je suis resté couché. Puis quelque chose d’inhabituel s’est produit. Je ne me suis pas endormi, mais j’ai vu la Mère de Dieu apparaître dans une sorte de brouillard léger. J’ai vu le monastère de Pskov et l’église Saint-Michel-Archange qui s’est illuminée soudain; la Vierge Marie en habit rouge est sortie et s’est agenouillée. Je ne peux pas l’expliquer, mais quelques jours après, j’ai pu marcher. Avant cela, je ne pouvais pas me lever du tout, les médecins ont averti les moines de se préparer à ma mort. On m’a même fait un cercueil, que j’ai vu plus tard, une sorte de cercueil sculpté, je n’ai pas aimé”.
Personne ne sait comment il s’est retrouvé à Minsk. On sait que le père Pierre (à cette époque-là le moine Paul) s’est retrouvé à l’hôpital psychiatrique de la ville et, sur le conseil d’une sœur de charité, il est venu au monastère Sainte-Élisabeth après sa sortie de l’hôpital. Le père spirituel du monastère, l’archiprêtre André Léméchonok, l’a béni pour s’occuper de la ferme du centre d’hébergement du monastère dans le village de Lysaya Gora, près de Minsk. À cette époque, il y avait une quinzaine de résidents dans le centre, pour la plupart des toxicomanes ou des alcooliques. Ils ne pouvaient pratiquement rien faire.
La ferme du monastère était un terrain de 140 hectares avec un bâtiment délabré. En tant que responsable, le père Paul a dû faire face à de nombreux problèmes économiques, organisationnels et financiers. C’est là que sa grande expérience de la vie et de l’économie s’est manifestée. Il a réussi à cultiver les terres de la ferme avec très peu d’argent.
Le père Paul a vite gagné le respect du dirigeant de la ferme voisine qui a apprécié son sens des affaires et a favorisé son collègue: il l’a aidé avec du carburant, lui a fourni des tracteurs. Mais ce qui était le plus utile, c’était l’étonnante capacité du père Paul à sortir de toute situation difficile. Dans la ferme voisine, il y avait un entrepôt branlant avec des engrais minéraux, qui pouvait s’effondrer à tout moment, on n’osait pas de s’en approcher. Le père Paul s’est vu promettre tous les engrais disponibles dans l’entrepôt, s’il s’engage à le démonter. En tant que militaire, il a pesé tous les risques, en tant qu’homme d’affaires, il a estimé tous les avantages et a accepté. Il a trouvé deux travailleurs, l’un étant un ancien alpiniste et l’autre un grutier diplômé. Il a pris les dispositions nécessaires, a fait venir une grue et l’entrepôt a été démonté. Bientôt les champs du monastère étaient verts avec des pousses denses.
Les week-ends beaucoup de monde venait aider à la ferme. Le père Paul se préparait toujours à les recevoir, s’assurant que tous étaient nourris. Les nappes étaient étalées dans le champ et tout ce qu’on avait pour le repas était sorti. Au cours du repas, le père Paul prononçait généralement un sermon. De nombreuses années ont passé, mais tous ceux qui se sont rendus à la ferme à l’époque se souviennent de l’hospitalité du père Paul qui réchauffait les gens par ses paroles et par ses soins paternels.
Le père Paul avait une faiblesse répandue que les crises d’ivrognerie. Plusieurs fois par an, il faisait des pannes et devait aller à l'hôpital. Après une nouvelle sortie d'hôpital, il n’est pas revenu à la ferme. Il a été chargé de maintenir l’ordre sur le territoire du monastère: il est devenu le responsable des gardiens et des nettoyeurs. Il devait également distribuer de l’aide humanitaire aux personnes dans le besoin. Il était zélé dans son obédience, s’assurant que tout était fait de la meilleure façon possible. Il n’a jamais été vu rester sans une occupation, mais on l’a souvent entendu dire que le mouvement était la vie.
Le rêve le plus cher du moine Paul était la tonsure dans le schéma. Il a même acheté le vêtement nécessaire, ayant collecté de l’argent de sa pension. À plusieurs reprises, il a adressé la demande de la tonsure au bureau diocésain, mais ses requêtes ont été rejetées. Mais le moment est venu, et le Seigneur a satisfait le désir de son cœur: le moine Paul a été tonsuré dans le Grand Schéma avec le nom de Pierre.
Après sa tonsure, le schémamoine Pierre a gardé le silence; il y avait le sentiment qu’il ne vivait plus ici, qu’il était dans une autre dimension, où il n’y avait que lui et le Seigneur. Il a toujours été très compatissant envers celui qui parlait de son malheur. C’est pourquoi il était aimé. Les gens ont besoin de quelqu’un qui les comprenne, et le père Pierre était une telle personne. Des sans-abri, des alcooliques, des toxicomanes et des malades venaient souvent chez le père Pierre: certains pour de la nourriture ou pour des vêtements, d’autres pour parler. Il avait pitié des alcooliques, il était sensible à leur état et les emmenait à l'hôpital.
Le père Pierre a dû subir une opération pour retirer un ganglion lymphatique enflammé sur son cou. Le soir, il a développé un œdème et sa tension artérielle a chuté. Il ne pouvait plus se lever du lit, respirant avec difficulté. Un prêtre a été appelé et le schémamoine Pierre a reçu la communion. Une heure après, il respirait à peine. Les moniales ont lu le canon pour la séparation de l’âme et du corps et le père Pierre a été rappelé au Seigneur.
‟J’ai assisté à de nombreux offices de funérailles ici au monastère, mais l’état que j'ai éprouvé aux funérailles du père Pierre était le premier de ma vie, ‒ se souvient la moniale Eugénia. ‒ Un silence est descendu en moi: pas de tristesse, pas de chagrin, mais une extraordinaire paix de l’esprit. J’ai réalisé que le schéma est vraiment un rang angélique.” ‟Il y a un banc près du monastère, entouré de bouleaux", ‒ dit la moniale Susanna. ‒ Il aimait s’asseoir sur ce banc. Une chose merveilleuse: lorsque la neige a fondu, la première herbe verte est apparue à un seul endroit. J’ai regardé, l’herbe n'avait pas encore poussé dans toute la cour, mais elle était déjà verte près de son banc.”